Quoi de plus irresistible que de copier son maître ? Les jeunes footeux admirent et miment Lionel Messi, et les guitaristes singent Hendrix. C’est dans l’ordre des choses. Pour ma part j’ai admiré et admire toujours les photos de William Eggleston, sa pertinence artistique dans le choix de ses sujets, dans la façon dont il les photographiait, les couleurs et les tons qu’il produisait. Il fût l’un des premiers à employer la couleur dans la photographie, et son arrivée dans le monde de la photo a beaucoup froissé les puristes du noir et blanc à l’époque qui considéraient son art comme vulgaire et sans intérêt. Et puis il s’est imposé comme un artiste majeur. J’ai souvent bavé sur ses images de l’Amérique reculée des années 70. Son intérêt pour le banal, le vernaculaire, le « rien » m’a fasciné et me fascine toujours. J’aurais voulu comme bien d’autres être le premier à transformer une banale ampoule de plafond en image d’art, ou le contenu d’un congélateur en objet artistique débattu. Eggleston s’attacha toute sa vie artistique à photographier les trottoirs de Memphis, les parkings de supermarché ou les canettes de Coca-Cola. Finalement je trouve son travail et son approche de la photo plutôt « punk », malgré son costard légendaire et sa collection de Leicas. Aujourd’hui, shooter une rangée de caddies ou comme ici un étalage de cannettes ne recouvre plus la même impertinence qu’en 1971. Mais je le fais quand même, sans autre espoir qu’en faire un sujet d’article de blog, ou simplement pour me faire plaisir. Après tout, la photo c’est aussi une partie de plaisir.
Je présente ici un aperçu de mon travail à travers ce portfolio. Je vous laisse découvrir celui-ci en espérant qu’il soit suffisament fidèle à ma pratique de la photo.
On peut définir brièvement le propos photographique ainsi : c’est la raison pour laquelle le photographe a choisi de capturer une scène particulière. Et il doit être au coeur de la composition, sans quoi on propose une image molle et dénuée d’intérêt social. Soyons clair, on propose tous des images molles, ordinaires et sans ambition narrative. Mais ce qui fait qu’une photographie percute au delà des performances techniques qui lassent, c’est l’invitation à penser, à ressentir, à goûter. C’est en tout cas ce qui m’anime dans la pratique de la photo : la recherche du cliché ultime (que personne n’atteint jamais). Du cliché qui frappe, qui montre, qui raconte et qui cherche à questionner à coup de marteau.
A mon sens la photo se distingue de la littérature ou bien de la musique en racontant autrement, avec une esthétique et un langage qui lui sont propres. Et puis la photographie en dit moins, et c’est une de ses forces. Mais à travers quel prisme donc ? La composition. Le choix de l’angle, de la perspective et de la mise au point guide le regard du spectateur, et devient une forme de langage. La composition, c’est l’outil employé par le photographe pour stimuler la réflexion, provoquer une émotion. Parfois c’est le hasard d’un cadrage qui produit une image éloquente. Mais si on veut produire ce type d’image en grande quantité, alors il faut perfectionner et affiner ses compositions. Il faut réflechir à ce qui fonctionne dans une image, et aussi à ce qui fait défaut. Et plus les échecs et les leçons tirées se multiplient, plus la vigilance dans le cadrage et l’intention narrative s’imposent. Il faut une vie pour devenir Joel Meyerowitz, mais quelques mois de pratique intensive suffisent à affiner son style et commencer à se faire plaisir. Je vous y invite.
Vous voulez l’histoire de ce portrait ? La voici : un dimanche près de Granville. Une dizaine de copains. Un bourg déserté par les touristes. Une pizzeria vide de clients accolée à un bar quasi vide lui aussi.
Une dizaine de gueules de bois donc, et une soif intense d´eau gazeuse après une courte ballade pour se donner bonne conscience. Et puis ce pizzaiolo seul au pied de son four, préparant les deux pizzas à emporter commandées sans doute avant notre arrivée.
Mon appareil est resté dans mon petit sac photo, posé devant moi sur la table du bar. On s´essaie à quelques discussions mais nous sommes bien moins loquaces que la veille au soir.. Alors je sors mon Fuji sur lequel j´ai vissé un vieil objectif argentique, mais néanmoins réputé : le Nikkor 105mm F2.5. Belle bête. Je shoote au hasard le peu de passants autour de moi, assis devant mon verre vide. Indéculable. Vissé sur ma chaise comme mon Nikkor sur le boitier. Les filles ont faim. On rentre.
On salue le pizzaiolo avec qui les copains avaient échangé des amabilités singulières de lendemain de fête. Vous imaginez. Mais si, vous savez très bien de quoi je parle..
Je lui demande si je peux lui tirer le portrait. Il accepte. Mais la terrasse est courte et ma focale de 105mm donne en fait 135mm sur mon boitier (navré pour l´aspect technique). Ce qui implique de vraiment s´eloigner du sujet. Je passe donc derrière la rambarde surélevée, mais je ne peux pas reculer davantage. Si je tombe, mon postérieur essuiera un mètre de gravité… Je déclenche vite car si le type se prête au jeu, ses pizzas passées au four ne peuvent pas attendre. Je fais vite sans trop y croire. On rentre.
Quelques jours plus tard, en bien meilleure forme, j´édite les clichés sur mon PC. Vu les conditions il est plutôt cool ce portrait. On le fait parvenir au pizzaiolo qui visiblement est ravi aussi du résultat.
La photo, c´est ça aussi. Des rencontres, des circonstances particulières, et aussi beaucoup d´occasions manquées. Mais cette fois là, ce portrait et le souvenir matchent parfaitement. Merci mec..
Les appareils photo Twin Lens Reflex (TLR) incarnent une époque où la photographie se démocratisait, et de nombreux passionnés firent l´acquisition du modèle dont il est question aujourd’hui : le Yashica Mat 124G. Commercialisé à partir de 1971, son design classique, son fonctionnement mécanique, le format carré de ses images et leur qualité, continuent de fasciner les passionnés de photographie, même à l’ère numérique actuelle. Voici à quoi il ressemble :
La copie que je possède est dans un état irréprochable. Je l´ai dégoté dans une boutique d´articles de seconde main pour 15 fois moins sa côte actuelle. J´ai longtemps bavé sur ce modèle exhibé par de fiers propriétaires sur les chaines youtube de photographie argentique. Et puis vint ce jour heureux où je le deposai pour la première fois sur l´étagère où depuis il trône fièrement dans mon salon. Je m´en sers peu car le prix des films 120 avec lesquels on charge la bête a atteint des montants exorbitants ces toutes dernières années, avec le retour de l´argentique. La photo ci-dessous est elle aussi le fruit d´un heureux hasard. J´avais emporté mon « Yash » au travail pour réaliser quelques portraits de collègues. Nous voilà donc pendant la pause déjeuner devant cette vieille porte d immeuble, pour prendre les douze clichés possibles pour un film 120. Oui, à 11 euros le film, ca fait cher la photo ! Passons… Et voila qu´entre deux poses de collegues et alors que j´imagine un cadrage l´oeil vissé sur mon Yashica, la porte s´ouvre. Grinçante. Lourde. Paresseuse. Je maintient mon regard dans l´oeilleton pour maintenir mon cadre, et une frimousse apparaît, interrogative. Mes réglages sont déjà prêts et ma composition toute trouvée. Clic.