En photo de rue, la première difficulté à laquelle on fait face quand on débute, c´est s´approcher des sujets à photographier. Robert Capa disait que « si ta photo n´est pas bonne, c´est que tu n´es pas assez prêt ». Et c´est vrai que les clichés innombrables publiés par les amateurs de streetphoto se ressemblent beaucoup : des sujets photographiés de dos, ou bien de face mais bien trop eloignés pour que l´image soit intéressante. Celà donne des productions ordinaires et sans intérêt. Et tout photographe de rue passe par là. On se lasse de ses propres photos et on abandonne vite. Et puis parfois on force le destin, on cherche à s´approcher des passants et à déclencher au plus près. Quitte à surprendre et à risquer de se faire engueuler, ce qui soit dit en passant n´arrive presque jamais. Il faut d´ailleurs le rappeler, le droit à la création prime sur le « droit à l´image » dans l´espace public, sauf exceptions. Il faut aussi être conscient que la photographie ne passionne que les photographes, et qu´une photo publiée ne sera regardée qu´au mieux six secondes par une poignée d´inconnus anonymes en France, puis vite oubliée. Autrement dit, personne ou presque ne s´interessera à une image de vous qu´un photographe aura publiée quelque part. Voilà pour la question du supposé droit à l´image et de l´audience réelle de la photographie. Mais revenons à notre photographe avec son boitier dans la main et ses baskets plantées dans le bitume, et qui malgré la loi de son côté n´ose pas pour autant pratiquer comme Bruce Gilden et flasher le passant à 15 cm du visage ? Bah il peut éventuellement tenter la « fishing technique » : comme à la pêche, il se pose sur un spot photogénique, attend que le sujet ou l´action se présente, et l´air de rien au moment opportun, il déclenche. Sur la photo ci-dessous le passant se penche pour ne pas déranger le touriste qu´il pense que je suis, et par chance quand il entre dans le cadre (je m´en aperçois plus tard en regardant le cliché), il laisse derrière lui une épaisse traînée blanche, qui n´est rien d´autre que l´enduit sur la pierre de l´édifice en réparation. Click, clac !
il est fréquent de lire sur nombre de forums ou groupes de photographes, qu´il faut soigner son image : règles de composition, règle des tiers, chasser le bruit numerique de ses photos, netteté des sujets, etc. Et gare à celui qui contredit la ligne ! L’orthodoxie s’impose du club photo local au groupe Facebook des « Passionnés du bokeh ». Il est ici utile de rappeler qu´aucun des grands photographes du siècle et demi passé ne respectait ces injonctions. Le maître de la composition Henri Cartier-Bresson se fichait éperdument de la règle des tiers. Tout comme la célèbre nounou photographe Vivian Maier se fichait de la netteté de ses sujets. En réalité, si le flou sert l´intention photographique, alors il faut savoir parfois mepriser le concept de netteté, dont Cartier-Bresson lui-même considérait qu´il était un concept bourgeois. Oui oui bourgeois ! Ils avaient de la gueule les photographes y a 60 ans…
Mais alors que fait-on de ces règles ? Poubelle ? Pas si vite… D’abord ces règles sont essentiellement utilisées dans la photographie professionnelle, pour satisfaire le client ou la commande. Et puis s’approprier ces règles quand on débute permet de soigner ses compositions, ses règlages, et d’apprendre à maitriser finalement son appareil, sa prise de vue. Cet apprentissage est à la portée de tous, et quelques semaines de pratiques suffisent largement pour considérer qu’on « sait » prendre une photo bien exposée, nette et « correctement » cadrée. Une fois cette compétence acquise, il faut savoir s’affranchir de ces règles pour pouvoir SCIEMMENT sous exposer, induire un flou du sujet, ou encore pour se libérer des contraintes de cadrage. C’est alors seulement que l’expression artistique est à l’oeuvre et que les possibilités créatives s’ouvrent. Framing Free !
Rien d’extraordinaire ou d’enthousiasmant à prendre en photo ? Ni eu l’occasion de shooter sur la légendaire 5ème Avenue à New-York récemment ? C’est balo, mais j’ai un truc pour vous : photographier le banal ! Les hashtags #banalography ou autres #banalmag fleurissent sur Instagram, tant le courant est en vogue. Où que vous vous trouviez, shootez ce qui vous entoure, ce qui vous est quotidien et à quoi vous ne prêtez même plus attention, et révélez-le ! Rien ne garantira que vos clichés soient tous dignes d’intérêt, mais vous vous forcerez à exercer votre oeil à la photo, et augmenterez progressivement la part de vos images interessantes. C’est un exercice profitable pour tout photographe qui souhaite progresser dans sa pratique. Tirez avantage des scènes et des sujets qui se présentent sous vos yeux, exploitez les contrastes, les couleurs, les lignes directrices, et composez en conséquence. Vous y gagnerez également en singularité photographique : votre style artistique se définira peu à peu, et vous sortirez du lot !
La photo de rue… vaste sujet. Beaucoup de productions depuis quelques années visibles sur les réseaux sociaux, et de polémiques aussi. Il faut dire que la discipline évoque de grands noms, des expositions fameuses et des livres mythiques. Et puis pratiquer la photo de rue est devenu plus accessible et c´est tant mieux. Quel matériel pour pratiquer ? Un appareil quel qu´il soit fera l´affaire, avec une focale plutôt courte type 28, 35 ou 50mm si on rêve de devenir Robert Frank ou Cartier Bresson. Et si celui qu´on a surnommé « l´oeil du siècle » shootait en costume fifties, on shoote aujourd’hui en sneakers et on se fond dans la masse façon touriste. En 2023, plus besoin nécessairement d´une chambre noire et d´un contrat avec un editeur. On montre son travail sur Instagram, Twitter ou sur un Blog, au risque d´etre parfois la risée du profane qui jugerait un peu vite les images en les trouvant banales et sans grande prouesse technique. Mais qu´importe… L´intérêt de la street est ailleurs.
Avant d’emprunter chaque matin le tunnel piéton pour rejoindre l’autre côté de la voie férroviaire, je jette toujours un oeil à l’image obtenue à la sortie du train. Une sorte de rituel quotidien…
Et ce matin encore, j’étais déçu. C’est en consultant plus tard les clichés que je tombe sur celui-ci à nouveau. Il est finalement intéressant et donc exploitable. En effet la faible luminosité matinale induit une vitesse d’obturation lente de l’appareil pour capter la lumière, et nécessairement un flou de bougé. Ajoutons à celà la tenue vestimentaire très contrastée du sujet, un traitement de l’image poussé, et on obtient une image dynamique et assez poétique de mon point de vue. Qui est cette femme ? Où va-t-elle précisément ? Quel sera l´objet de ses pensées une fois assise dans le train ? Quand rentre-t-elle ? Une photo ne dit pas tout, et c´est tout l´intérêt.