PORTRAIT ET GUEULE DE BOIS

Vous voulez l’histoire de ce portrait ? La voici : un dimanche près de Granville. Une dizaine de copains. Un bourg déserté par les touristes. Une pizzeria vide de clients accolée à un bar quasi vide lui aussi.

Une dizaine de gueules de bois donc, et une soif intense d´eau gazeuse après une courte ballade pour se donner bonne conscience. Et puis ce pizzaiolo seul au pied de son four, préparant les deux pizzas à emporter commandées sans doute avant notre arrivée.

Mon appareil est resté dans mon petit sac photo, posé devant moi sur la table du bar. On s´essaie à quelques discussions mais nous sommes bien moins loquaces que la veille au soir.. Alors je sors mon Fuji sur lequel j´ai vissé un vieil objectif argentique, mais néanmoins réputé : le Nikkor 105mm F2.5. Belle bête. Je shoote au hasard le peu de passants autour de moi, assis devant mon verre vide. Indéculable. Vissé sur ma chaise comme mon Nikkor sur le boitier. Les filles ont faim. On rentre.

On salue le pizzaiolo avec qui les copains avaient échangé des amabilités singulières de lendemain de fête. Vous imaginez. Mais si, vous savez très bien de quoi je parle..

Je lui demande si je peux lui tirer le portrait. Il accepte. Mais la terrasse est courte et ma focale de 105mm donne en fait 135mm sur mon boitier (navré pour l´aspect technique). Ce qui implique de vraiment s´eloigner du sujet. Je passe donc derrière la rambarde surélevée, mais je ne peux pas reculer davantage. Si je tombe, mon postérieur essuiera un mètre de gravité… Je déclenche vite car si le type se prête au jeu, ses pizzas passées au four ne peuvent pas attendre. Je fais vite sans trop y croire. On rentre.

Quelques jours plus tard, en bien meilleure forme, j´édite les clichés sur mon PC. Vu les conditions il est plutôt cool ce portrait. On le fait parvenir au pizzaiolo qui visiblement est ravi aussi du résultat.

La photo, c´est ça aussi. Des rencontres, des circonstances particulières, et aussi beaucoup d´occasions manquées. Mais cette fois là, ce portrait et le souvenir matchent parfaitement. Merci mec.. 

Orne photographe flers argentan

MON YASH ET MOI

Les appareils photo Twin Lens Reflex (TLR) incarnent une époque où la photographie se démocratisait, et de nombreux passionnés firent l´acquisition du modèle dont il est question aujourd’hui : le Yashica Mat 124G. Commercialisé à partir de 1971, son design classique, son fonctionnement mécanique, le format carré de ses images et leur qualité, continuent de fasciner les passionnés de photographie, même à l’ère numérique actuelle. Voici à quoi il ressemble :
La copie que je possède est dans un état irréprochable. Je l´ai dégoté dans une boutique d´articles de seconde main pour 15 fois moins sa côte actuelle. J´ai longtemps bavé sur ce modèle exhibé par de fiers propriétaires sur les chaines youtube de photographie argentique. Et puis vint ce jour heureux où je le deposai pour la première fois sur l´étagère où depuis il trône fièrement dans mon salon. Je m´en sers peu car le prix des films 120 avec lesquels on charge la bête a atteint des montants exorbitants ces toutes dernières années, avec le retour de l´argentique. La photo ci-dessous est elle aussi le fruit d´un heureux hasard. J´avais emporté mon « Yash » au travail pour réaliser quelques portraits de collègues. Nous voilà donc pendant la pause déjeuner devant cette vieille porte d immeuble, pour prendre les douze clichés possibles pour un film 120. Oui, à 11 euros le film, ca fait cher la photo ! Passons… Et voila qu´entre deux poses de collegues et alors que j´imagine un cadrage l´oeil vissé sur mon Yashica, la porte s´ouvre. Grinçante. Lourde. Paresseuse. Je maintient mon regard dans l´oeilleton pour maintenir mon cadre, et une frimousse apparaît, interrogative. Mes réglages sont déjà prêts et ma composition toute trouvée. Clic.

THE FISHING TECHNIQUE

En photo de rue, la première difficulté à laquelle on fait face quand on débute, c´est s´approcher des sujets à photographier. Robert Capa disait que « si ta photo n´est pas bonne, c´est que tu n´es pas assez prêt ». Et c´est vrai que les clichés innombrables publiés par les amateurs de streetphoto se ressemblent beaucoup : des sujets photographiés de dos, ou bien de face mais bien trop eloignés pour que l´image soit intéressante. Celà donne des productions ordinaires et sans intérêt. Et tout photographe de rue passe par là. On se lasse de ses propres photos et on abandonne vite. Et puis parfois on force le destin, on cherche à s´approcher des passants et à déclencher au plus près. Quitte à surprendre et à risquer de se faire engueuler, ce qui soit dit en passant n´arrive presque jamais. Il faut d´ailleurs le rappeler, le droit à la création prime sur le « droit à l´image » dans l´espace public, sauf exceptions. Il faut aussi être conscient que la photographie ne passionne que les photographes, et qu´une photo publiée ne sera regardée qu´au mieux six secondes par une poignée d´inconnus anonymes en France, puis vite oubliée. Autrement dit, personne ou presque ne s´interessera à une image de vous qu´un photographe aura publiée quelque part. Voilà pour la question du supposé droit à l´image et de l´audience réelle de la photographie. Mais revenons à notre photographe avec son boitier dans la main et ses baskets plantées dans le bitume, et qui malgré la loi de son côté n´ose pas pour autant pratiquer comme Bruce Gilden et flasher le passant à 15 cm du visage ? Bah il peut éventuellement tenter la « fishing technique » : comme à la pêche, il se pose sur un spot photogénique, attend que le sujet ou l´action se présente, et l´air de rien au moment opportun, il déclenche. Sur la photo ci-dessous le passant se penche pour ne pas déranger le touriste qu´il pense que je suis, et par chance quand il entre dans le cadre (je m´en aperçois plus tard en regardant le cliché), il laisse derrière lui une épaisse traînée blanche, qui n´est rien d´autre que l´enduit sur la pierre de l´édifice en réparation. Click, clac !

BALEK !

il est fréquent de lire sur nombre de forums ou groupes de photographes, qu´il faut soigner son image : règles de composition, règle des tiers, chasser le bruit numerique de ses photos, netteté des sujets, etc. Et gare à celui qui contredit la ligne ! L’orthodoxie s’impose du club photo local au groupe Facebook des « Passionnés du bokeh ». Il est ici utile de rappeler qu´aucun des grands photographes du siècle et demi passé ne respectait ces injonctions. Le maître de la composition Henri Cartier-Bresson se fichait éperdument de la règle des tiers. Tout comme la célèbre nounou photographe Vivian Maier se fichait de la netteté de ses sujets. En réalité, si le flou sert l´intention photographique, alors il faut savoir parfois mepriser le concept de netteté, dont Cartier-Bresson lui-même considérait qu´il était un concept bourgeois. Oui oui bourgeois ! Ils avaient de la gueule les photographes y a 60 ans…
Mais alors que fait-on de ces règles ? Poubelle ? Pas si vite… D’abord ces règles sont essentiellement utilisées dans la photographie professionnelle, pour satisfaire le client ou la commande. Et puis s’approprier ces règles quand on débute permet de soigner ses compositions, ses règlages, et d’apprendre à maitriser finalement son appareil, sa prise de vue. Cet apprentissage est à la portée de tous, et quelques semaines de pratiques suffisent largement pour considérer qu’on « sait » prendre une photo bien exposée, nette et « correctement » cadrée. Une fois cette compétence acquise, il faut savoir s’affranchir de ces règles pour pouvoir SCIEMMENT sous exposer, induire un flou du sujet, ou encore pour se libérer des contraintes de cadrage. C’est alors seulement que l’expression artistique est à l’oeuvre et que les possibilités créatives s’ouvrent. Framing Free !

BANAL PHOTOGRAPHY

Rien d’extraordinaire ou d’enthousiasmant à prendre en photo ? Ni eu l’occasion de shooter sur la légendaire 5ème Avenue à New-York récemment ? C’est balo, mais j’ai un truc pour vous : photographier le banal ! Les hashtags #banalography ou autres #banalmag fleurissent sur Instagram, tant le courant est en vogue. Où que vous vous trouviez, shootez ce qui vous entoure, ce qui vous est quotidien et à quoi vous ne prêtez même plus attention, et révélez-le ! Rien ne garantira que vos clichés soient tous dignes d’intérêt, mais vous vous forcerez à exercer votre oeil à la photo, et augmenterez progressivement la part de vos images interessantes. C’est un exercice profitable pour tout photographe qui souhaite progresser dans sa pratique. Tirez avantage des scènes et des sujets qui se présentent sous vos yeux, exploitez les contrastes, les couleurs, les lignes directrices, et composez en conséquence. Vous y gagnerez également en singularité photographique : votre style artistique se définira peu à peu, et vous sortirez du lot !